Diversité des essences forestières : un levier clé pour l’adaptation des forêts 

En France, les forêts couvrent environ 31 % du territoire métropolitain, représentant une superficie de 17 millions d’hectares [1]. Ces écosystèmes forestiers abritent une biodiversité riche, avec 106 espèces d’arbres autochtones couvrant 93 % de la surface forestière, majoritairement issus de régénération naturelle [2]. Pourtant, l’intensification des pratiques sylvicoles après la seconde guerre mondiale et la standardisation des plantations fragilisent ces écosystèmes, réduisant leur capacité à s’adapter aux aléas climatiques et aux perturbations biologiques.

À l’échelle nationale, les forêts jouent un rôle essentiel dans le stockage du carbone, contribuant ainsi à l’atténuation du changement climatique. Cependant, selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), la capacité de stockage de carbone des forêts françaises a fortement diminué, passant de 63 millions de tonnes de CO₂ absorbées par an entre 2005 et 2013 à seulement 39 millions de tonnes par an entre 2014 et 2022 [3]. Cette baisse s’explique en partie par l’impact des sécheresses, des ravageurs et des maladies sur la croissance des arbres.

Dans ce contexte, favoriser la diversité des essences dans les projets forestiers n’est pas seulement une démarche écologique, mais aussi une nécessité pour garantir la pérennité des forêts face aux menaces actuelles et assurer leur existence à long terme.

Qu’est-ce que la diversité des essences ?

La diversité des essences forestières est un pilier fondamental de la biodiversité et de la résilience des écosystèmes. Elle joue un rôle clé dans l’adaptation des forêts aux changements climatiques, la préservation des sols et la régulation du cycle de l’eau.

Pour mieux comprendre son importance, il est essentiel de replacer cette notion dans le cadre plus large de la diversité biologique et d’en préciser les différents niveaux.

Définition de la diversité biologique

La biodiversité englobe l’ensemble des formes de vie et des écosystèmes présents sur Terre. Ce concept repose sur trois niveaux interconnectés, définis lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro [4] en 1992, un événement marquant pour la reconnaissance mondiale des enjeux liés à la préservation du vivant. À cette occasion, la Convention sur la diversité biologique [5] a été adoptée, établissant un cadre international pour les politiques environnementales visant à préserver et restaurer la biodiversité, notamment dans le domaine de la gestion forestière.

Les trois niveaux de la biodiversité sont les suivants :

La diversité génétique

La diversité génétique correspond aux variations observées au sein d’une même espèce. Chez les arbres, elle se traduit par des différences dans la résistance aux maladies, la croissance, la tolérance aux conditions climatiques et la capacité de reproduction. Par exemple, au sein d’une population de chênes, certains individus seront plus résistants aux sécheresses tandis que d’autres auront un feuillage plus dense, influençant l’ombrage du sous-bois et la biodiversité locale.

Le maintien d’une diversité génétique élevée permet aux espèces de s’adapter aux évolutions de leur environnement. Une faible diversité génétique, fréquente dans les plantations monospécifiques issues de clones ou de semences homogènes, augmente la vulnérabilité aux maladies et aux stress environnementaux. L’introduction de plants génétiquement sélectionnés, choisis pour leur résistance et leurs performances (croissance, qualité du bois, etc.), contribue à la résilience et à la durabilité des forêts face aux défis contemporains.

La diversité des espèces

Ce niveau de biodiversité correspond à la variété des essences d’arbres présentes dans un écosystème forestier. Une forêt monospécifique, qu’elle soit composée uniquement de résineux comme le pin ou l’épicéa, ou de feuillus tels que le hêtre, le chêne ou le charme, n’aura pas la même richesse fonctionnelle qu’une forêt mixte intégrant une diversité d’espèces.

Cette diversité des espèces offre une complémentarité entre les essences. Certaines sont mieux adaptées aux sols secs, d’autres favorisent la rétention d’eau, tandis que certaines essences pionnières jouent un rôle dans la régénération après une perturbation (incendie, tempête). Une forêt riche en essences différentes est ainsi plus résiliente face aux aléas climatiques et aux crises sanitaires, comme l’a montré l’impact des scolytes sur les monocultures d’épicéas en Europe centrale et en France, notamment en Franche-Comté, dans les Vosges et le Massif central. Dans les forêts mixtes intégrant des feuillus comme le chêne, le hêtre ou d’autres résineux, ces insectes prolifèrent moins, car ces essences modifient le microclimat et freinent la propagation de ce ravageur [6].

La diversité des écosystèmes

La diversité des écosystèmes, quant à elle, désigne la variété des habitats et des interactions entre les espèces sur un territoire donné. Dans une forêt diversifiée, les interactions entre espèces favorisent des cycles biologiques plus complexes et stabilisent les processus écosystémiques. Ainsi, une forêt tempérée ne fonctionnera pas de la même manière qu’une forêt méditerranéenne ou qu’une mangrove. Chaque écosystème reposant sur un équilibre entre ses essences, sa faune et ses conditions environnementales associées.

Définition d’une essence forestière

Le terme essence forestière désigne une espèce d’arbre caractérisée par son cycle de vie, ses besoins écologiques et ses interactions avec son environnement. Ainsi, chaque essence possède des caractéristiques qui influencent la forêt dans laquelle elle évolue.

Par exemple :

  • Le chêne est une essence à croissance lente, à bois dense, qui favorise un sol riche en humus.
  • Le pin maritime, à croissance rapide, est souvent utilisé dans la reforestation pour son adaptation aux sols pauvres et son rendement en bois.
  • Le hêtre, essence de lumière qui domine naturellement son environnement. En l’absence de gestion forestière, il tend à s’imposer et à former des peuplements monospécifiques denses, limitant ainsi la diversité des autres essences sous son couvert.

Association de différentes essences : exemples concrets et bénéfices écologiques

L’association de différentes essences dans un même peuplement améliore la stabilité de l’écosystème et optimise les interactions entre espèces, notamment, grâce à :

➡️ La complémentarité des niches écologiques

Les différentes essences exploitent les ressources du sol et de l’espace de manière complémentaire, optimisant leur utilisation :

  • Essences à racines profondes : le chêne pédonculé (Quercus robur) et le pin sylvestre (Pinus sylvestris) développent des racines profondes qui accèdent aux nappes phréatiques et aux couches inférieures du sol. Par exemple, le chêne pédonculé profite de la présence de l’aulne glutineux (Alnus glutinosa) sur des sols à nappe temporaire, car ce dernier facilite une meilleure exploration racinaire en profondeur pour le chêne [6].
  • Essences à racines superficielles : l’érable champêtre (Acer campestre) et l’épicéa commun (Picea abies) exploitent les couches superficielles du sol riches en nutriments. Leur enracinement traçant permet une absorption efficace des ressources immédiatement disponibles.

Cette complémentarité réduit la compétition entre essences et améliore la résilience globale du peuplement.

➡️ La résistance accrue aux perturbations

Les peuplements forestiers mélangés sont plus résistants aux maladies, ravageurs et événements climatiques extrêmes grâce à la diversité fonctionnelle :

  • Résistance aux sécheresses : les mélanges comme celui du hêtre (Fagus sylvatica) avec le chêne sessile (Quercus petraea) montrent une meilleure résistance aux épisodes de sécheresse [7]. En effet, en raison de leurs systèmes racinaires complémentaires, le chêne sessile possède un enracinement profond qui lui permet d’accéder aux ressources en eau situés en profondeur, tandis que le hêtre a un enracinement plus superficiel. Cette différence réduit la compétition entre les 2 espèces pour accéder aux ressources en eau.
  • Lutte contre les ravageurs : les forêts mixtes réduisent les dégâts causés par les insectes ravageurs, comme les scolytes. À titre d’exemple, associer des feuillus (comme le chêne) avec des conifères (tels que le pin sylvestre) désoriente certains  insectes tout en favorisant les prédateurs naturels, comme les oiseaux ou chauves-souris [8].

➡️ L’amélioration de la biodiversité

La diversité des essences d’arbres crée une variété d’habitats propices pour la faune et la flore :

  • Micro-habitats spécifiques : les vieux arbres comme le chêne ou le hêtre offrent des cavités pour les oiseaux cavicoles (mésanges, chouettes) ou chauves-souris. Les bois morts dans les houppiers favorisent également une riche biodiversité fongique et animale. Il est important de souligner que cela n’est possible que si les arbres ne sont pas prélevés. En effet, dans le cadre d’une gestion forestière, les arbres sont généralement récoltés avant d’atteindre cet état de maturité.
  • Interactions avec la faune : le lierre grimpant sur des arbres tels que l’érable ou le chêne fournit un abri et une source alimentaire pour des espèces comme le merle noir ou certains papillons pendant les périodes de pénurie. Le cerf élaphe, qui préfère les forêts de chênes et de hêtres, y trouve à la fois un abri et une source de nourriture.
  • Microclimats variés : la diversité végétale, en modulant l’ombre, l’humidité et la température du sol, favorise le développement de nombreuses espèces, des champignons aux pollinisateurs, renforçant ainsi l’équilibre écologique et à la dynamique de chaque écosystème.

➡️ L’enrichissement des cycles biogéochimiques

Différentes essences contribuent de manière unique au recyclage des nutriments dans le sol :

  • Fixation d’azote : le robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia) fixe l’azote atmosphérique, rendant cet élément disponible pour d’autres espèces comme le peuplier en mélange, ce qui améliore leur croissance et la fertilité du sol [7].
  • Acidification ou neutralisation du sol : certaines essences comme l’épicéa commun acidifient le sol, favorisant des communautés fongiques spécifiques, tandis que d’autres comme le chêne maintiennent un pH plus neutre, soutenant une diversité microbienne variée.

➡️ L’adaptation au changement climatique

Une forêt diversifiée est enclin à s’adapter aux changements environnementaux à long terme. Si certaines essences sont affectées négativement par le changement climatique(ex. hêtre), d’autres comme le chêne vert (Quercus ilex) ou le pin d’Alep (Pinus halepensis) prospèrent dans des conditions plus chaudes et sèches. Cela assure la continuité des fonctions écosystémiques [7] [9].

➡️ La production de bois variée

Un mélange d’essences permet de diversifier les usages du bois et de répondre aux évolutions du marché :

  • Les bois précieux, issus d’essences comme le chêne ou le noyer, sont recherchés pour l’ébénisterie et la menuiserie haut de gamme.
  • Les bois de consommation, comme ceux utilisés pour l’emballage, la papeterie ou le chauffage, assurent une valorisation complète des ressources forestières.

Cette diversification limite la dépendance à une seule essence et réduit les risques économiques liés aux maladies ou aux aléas climatiques. Elle favorise une gestion plus résiliente et durable des forêts [9] [10].

Les strates de la forêt : un indicateur clé de la biodiversité

Les forêts ne présentent pas toutes une stratification identique, mais dans de nombreux cas, elles s’organisent en plusieurs strates végétales, qui jouent un rôle écologique essentiel :

  • La strate herbacée et bryo-lichénique, composée de mousses, lichens, fougères et champignons, favorise la fertilité des sols et la régulation hydrique.
  • La strate arbustive, constituée de buissons et de jeunes arbres (noisetier, sureau, genévrier), stabilise les sols, limite l’érosion et sert de refuge à de nombreuses espèces animales. Elle est plus marquée dans les forêts tempérées et méditerranéennes, mais peut être absente dans certaines forêts denses.
  • La strate arborée (canopée), formée par les arbres adultes (chêne, hêtre, pin), joue un rôle clé dans le stockage du carbone, la régulation du climat et l’habitat de nombreuses espèces arboricoles (écureuils, chouettes, pics noirs).

L’agencement en strates crée des habitats variés, favorisant la biodiversité et les interactions entre espèces. Chaque strate régule la lumière, l’humidité et la température, soutenant le développement des plantes, champignons et micro-organismes. La canopée stabilise le climat local, tandis que les strates inférieures enrichissent les sols et facilitent la dispersion des graines, assurant ainsi l’équilibre de l’écosystème forestier.

Certaines forêts, comme les forêts méditerranéennes ouvertes ou les forêts boréales, peuvent avoir une structure plus simple, avec une strate arborée dominante et peu d’étagement végétal. À l’inverse, les forêts tropicales sont parmi les plus complexes, avec parfois jusqu’à cinq strates distinctes.

Cette diversité structurelle influence la résilience des écosystèmes et souligne l’importance d’une gestion adaptée aux spécificités de chaque type de forêt.

La biodiversité forestière et ses enjeux actuels

La situation de la biodiversité en France

La France, en raison de sa position géographique, de la diversité de ses climats et écosystèmes, abrite une biodiversité exceptionnelle. Pourtant, cette richesse est aujourd’hui menacée par des pressions multiples qui altèrent l’équilibre de ses habitats naturels, en particulier dans les forêts.

Bien que le territoire forestier français soit globalement stable, il fait face à des défis majeurs liés au réchauffement climatique et aux crises sanitaires qui fragilisent les peuplements. L’urbanisation croissante entraîne une fragmentation des habitats forestiers, limitant la libre circulation des espèces et réduisant leur capacité à se reproduire et à maintenir des populations viables dans des environnements sains. Les forêts françaises font d’ailleurs face à diverses menaces qui compromettent leur santé et leur pérennité. En 2023, le Département santé des forêts (DSF) a estimé que 670 000 hectares de forêts [12] sont actuellement dépérissants, soit environ 5% de la surface forestière nationale [13]. Ce dépérissement est attribuable à plusieurs facteurs, notamment des pressions biotiques comme les attaques de champignons et d’insectes, ainsi que des facteurs abiotiques tels que les sécheresses, les tempêtes, les pollutions et les incendies

Les espèces envahissantes représentent également un défi majeur pour la biodiversité forestière. Elles perturbent les écosystèmes locaux en concurrençant les espèces indigènes et en modifiant les équilibres écologiques. Parmi ces espèces, on retrouve la processionnaire du pin, les défoliateurs des feuillus, ainsi que Chalara fraxinea, un champignon responsable du dépérissement des frênes [14]. Ces ravageurs et maladies, souvent liés à des introductions récentes, peuvent avoir des impacts dévastateurs sur les forêts.

Les pressions liées à la mondialisation et aux changements climatiques ont également facilité l’introduction de nouveaux organismes nuisibles. Des exemples historiques, tels que le dendroctone du pin, la graphiose de l’orme ou la cochenille du pin, ont déjà causé d’importants dégâts.
Aujourd’hui, de nouvelles menaces émergent, comme le capricorne asiatique ou encore la pyrale du buis. Ces ravageurs, parfois accompagnés de maladies telles que le nématode du pin, la maladie des bandes rouges sur le pin laricio (causée par le pathogène Phytophthora ramorum), représentent des risques sanitaires majeurs pour les forêts.

Le changement climatique, quant à lui, a des effets multiples sur la biodiversité. Il altère les cycles biologiques des espèces, provoque la migration forcée de certaines d’entre elles et favorise l’apparition de nouveaux pathogènes et ravageurs. Les températures croissantes et les événements climatiques extrêmes, comme les vagues de chaleur, affectent particulièrement les forêts méditerranéennes, qui souffrent de sécheresses prolongées et d’incendies plus fréquents. En conséquence, les arbres s’épuisent, favorisent leur descendance et voient leurs ressources pour se défendre contre les ravageurs s’amoindrir.

Forêts et contraintes réglementaires : un équilibre difficile à trouver

La protection de la biodiversité forestière repose sur un cadre réglementaire strict, visant à concilier exploitation durable et conservation des écosystèmes. Le Code forestier, la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) et le règlement européen sur la restauration de la nature imposent des mesures de gestion durable, telles que la diversification des essences et la conservation des habitats sensibles.

Des dispositifs comme Natura 2000, les Plans régionaux de la forêt et du bois (PRFB) et les Zones de Protection Spéciale (ZPS) encadrent l’exploitation des forêts pour préserver les continuités écologiques et les espèces menacées.

Ainsi, si la réglementation vise à garantir un équilibre entre conservation et production, elle impose aux gestionnaires forestiers d’adopter des pratiques plus durables pour renforcer la résilience des forêts face aux pressions climatiques et sanitaires. Une gestion adaptée, intégrant la diversité des essences, la préservation des sols et une exploitation raisonnée des ressources, est essentielle pour assurer la pérennité des forêts françaises.

Vers une adaptation des pratiques forestières : intégrer de nouvelles essences adaptées aux changements climatiques ?

La France dispose d’environ 17 millions d’hectares de forêts plantées, dont une grande partie est constituée de forêts monospécifiques gérées intensivement. En tenant compte des départements et régions d’outre-mer, la superficie totale des forêts françaises atteint près de 38,1 millions d’hectares, couvrant environ 38,10 % du territoire national [15]. Bien que ces forêts soient essentielles pour la production de bois, elles abritent moins de biodiversité et sont potentiellement plus vulnérables aux perturbations que les forêts naturelles ou diversifiées.

En France, où les projections climatiques annoncent un réchauffement pouvant atteindre +4°C d’ici 2100 (source Ministère de la Transition Écologique, de la Biodiversité, de la Forêt de la Mer et de la Pêche), la réintroduction d’essences locales fait débat. Certaines espèces historiquement présentes pourraient ne plus être adaptées aux nouvelles conditions climatiques. Face à ce défi, les stratégies sylvicoles évoluent vers une sélection d’essences plus résilientes, mieux adaptées aux épisodes de sécheresse prolongée et aux canicules de plus en plus fréquentes.

Dans cette optique, des programmes de recherche en génétique forestière, comme FORESTT, mené par l’INRAE, explorent des solutions pour renforcer la résilience des forêts françaises face aux changements globaux (source). Ce projet vise notamment à identifier et sélectionner des variétés mieux adaptées aux nouvelles contraintes climatiques, en prenant en compte des critères de tolérance aux stress hydriques et thermiques.

L’adaptation des forêts françaises aux nouvelles contraintes climatiques constitue donc un enjeu stratégique. En effet, il ne s’agit pas seulement d’assurer la pérennité de la filière bois, mais aussi de préserver l’équilibre écologique des forêts face aux nouvelles conditions environnementales. Cependant, l’enjeu ne se limite pas à une simple adaptation des essences. C’est toute la diversité forestière qui joue un rôle clé dans la résilience des écosystèmes. En favorisant une mosaïque d’espèces complémentaires, les forêts deviennent plus robustes face aux aléas climatiques et aux pressions biologiques. Les bénéfices de cette diversité dépassent largement la simple question d’adaptation : elle influence également la régulation du climat, la stabilité des sols et le stockage du carbone.

Les bénéfices de la diversité des espèces d’arbres pour le climat et les écosystèmes

La diversité des essences ne se limite pas à un choix esthétique ou économique, elle est essentielle pour la stabilité et la durabilité des écosystèmes forestiers. En favorisant une mosaïque d’espèces aux caractéristiques complémentaires, la forêt peut mieux moduler les conditions climatiques locales, stabiliser les sols et préserver la biodiversité. Ces impacts se déploient à différents niveaux, de la régulation du climat à la gestion des sols, renforçant ainsi la résilience des écosystèmes forestiers et la pérennité des ressources naturelles .

Régulation climatique et modulation des températures

Les forêts mixtes jouent un rôle majeur dans la régulation climatique locale. Les arbres feuillus comme le chêne et le hêtre, par leur feuillage dense, créent une couverture qui réduit l’échauffement du sol et augmente l’humidité de l’air par la transpiration. Ce processus contribue à maintenir une température plus fraîche, particulièrement pendant les périodes de canicule.
Par exemple, certaines espèces comme le chêne pubescent ou le pin maritime, adaptées à la chaleur, sont mieux armées pour supporter des températures extrêmes, ce qui permet à la forêt de mieux gérer les vagues de chaleur.

Préservation du sol et enrichissement de sa fertilité

La diversité des essences influence la structure et la fertilité des sols. Les racines des différentes espèces ont des rôles complémentaires : les feuillus comme le châtaignier ou le frêne possèdent des racines profondes qui puisent les minéraux et l’eau en profondeur, tandis que des espèces comme le bouleau ou l’érable, avec des racines superficielles, aident à stabiliser la surface du sol. Cette complémentarité améliore la filtration de l’eau et limite les risques d’érosion. De plus, les forêts mixtes favorisent la régénération du sol grâce à une décomposition plus rapide des litières, ce qui enrichit le sol en nutriments essentiels et contribue à la santé à long terme de la forêt.

Meilleure dégradation de la biomasse forestière

La diversité des essences d’arbres stimule la décomposition de la biomasse forestière en favorisant l’activité des organismes décomposeurs. Certaines espèces accélèrent le recyclage des nutriments essentiels à la fertilité des sols : le chêne, malgré un feuillage riche en tanins, constitue un habitat privilégié pour de nombreux insectes et champignons lignicoles, tandis que l’érable et le bouleau, avec leurs feuilles à décomposition rapide, enrichissent le sol en matière organique assimilable. L’orme attire des insectes spécialisés qui facilitent la désagrégation du bois, et les champignons saprophytes accélèrent la transformation du bois mort en humus.

En modulant la structure du sol et son taux d’humidité, cette diversité végétale favorise un équilibre entre accumulation et dégradation de la matière organique, évitant ainsi une accumulation excessive de matière morte. Ce processus assure un renouvellement constant des nutriments et renforce la résilience des écosystèmes forestiers.

Stockage du carbone et rôle des forêts comme puits de carbone

Les forêts jouent un rôle clé dans la régulation du climat grâce à leur capacité à stocker le dioxyde de carbone (CO₂) et à agir en tant que puits de carbone. Par la photosynthèse, les arbres absorbent le CO₂ de l’atmosphère et le transforment en biomasse vivante (troncs, branches, racines) et morte (feuilles, bois mort). Une partie de ce carbone est ensuite intégrée au sol sous forme d’humus, assurant un stockage à long terme.

Les forêts mixtes, combinant feuillus et résineux, optimisent ce processus en stabilisant le stockage du carbone. Les espèces à croissance lente, comme le chêne et le hêtre, accumulent du carbone sur plusieurs décennies, tandis que celles à croissance rapide, comme le bouleau et le tremble, captent rapidement du CO₂ avant de le restituer au sol lors de leur décomposition. En outre, la présence de champignons mycorhiziens, en symbiose avec les racines, facilite l’absorption des nutriments et renforce la séquestration du carbone dans les couches profondes du sol.

Gestion de l’eau et adaptation aux sécheresses

Les forêts diversifiées contribuent également à la régulation du cycle de l’eau en répartissant différemment l’absorption, le stockage et l’évapotranspiration selon les espèces présentes. Cette complémentarité permet d’atténuer les effets des sécheresses en maintenant un niveau d’humidité plus stable et en limitant les pertes en eau, tout en préservant les sols et les ressources hydriques locales. Certaines espèces comme le chêne-liège ou l’érable champêtre sont particulièrement résistantes à la sécheresse et parviennent à limiter leur transpiration pendant les périodes de chaleur intense. En revanche, d’autres, comme l’aulne ou le saule, qui croissent près des cours d’eau, aident à stabiliser les zones humides et à préserver les nappes phréatiques. Cette diversité végétale favorise ainsi une meilleure rétention d’eau et réduit le ruissellement, contribuant à l’équilibre des écosystèmes forestiers.

Protection contre les tempêtes et les événements climatiques

Une forêt diversifiée est bien plus résistante aux tempêtes et aux phénomènes climatiques extrêmes grâce à la variété des essences qui la composent. En mélangeant des arbres de tailles et de formes variées, elle réduit la prise au vent et ralentit la propagation des rafales. Les feuillus, plus souples que les conifères, se plient sans se casser, apportant ainsi une meilleure résistance face aux intempéries. De plus, contrairement aux forêts monospécifiques, où la chute de plusieurs arbres peut fragiliser l’ensemble du peuplement, cette diversité limite la formation de grandes ouvertures. Cela empêche la création de corridors d’accélération du vent qui aggraveraient les dégâts lors des tempêtes, renforçant ainsi la solidité et la stabilité du massif forestier.

Privilégier une gestion forestière diversifiée

Des études, dont celles de Messier et al. (2021), montrent que les forêts plantées diversifiées offrent des avantages écologiques et économiques significatifs [16] . Elles sont souvent aussi productives, voire plus, en matière de biomasse, tout en fournissant un large éventail de services écosystémiques. Elles sont également mieux acceptées socialement, notamment dans le cadre de politiques environnementales et de développement durable.
Pourtant, leur adoption reste encore limitée.

Pour favoriser cette transition, il est essentiel d’intensifier les actions de sensibilisation, d’encourager la diversité dans les financements et les projets de reboisement, d’investir dans la recherche, de développer de nouveaux débouchés économiques et industriels avec des essences variées.

Pourquoi certains projets forestiers privilégient encore le monospécifique ?

Malgré les nombreux avantages écologiques de la diversité des essences, de nombreux projets forestiers continuent de privilégier les monocultures pour des raisons économiques. Le choix d’une seule essence, telle que le pin maritime ou l’épicéa, permet de répondre rapidement aux besoins industriels en bois, notamment grâce à leur croissance rapide.

Cependant, ce modèle présente des limites importantes. L’absence de diversité rend ces forêts plus vulnérables aux maladies, aux invasions d’espèces exogènes et aux événements climatiques extrêmes. Par exemple, l’épicéa, largement exploité en Europe du Nord, subit de plein fouet les effets de la sécheresse, favorisant la prolifération du scolyte, un insecte ravageur. De plus, les plantations monospécifiques, notamment celles de résineux, se révèlent particulièrement sensibles aux tempêtes et aux vents violents, comme l’ont démontré les tempêtes Alex en 2020 et Ciaran en 2023, qui ont causé d’importants dégâts dans les massifs forestiers.

Face à ces défis, encourager la diversité des essences apparaît comme une solution incontournable pour renforcer la résilience des forêts. En favorisant des peuplements variés, mieux adaptés aux conditions locales et aux évolutions climatiques, il est possible de préserver la biodiversité, d’assurer une meilleure stabilité écologique et de sécuriser la production de bois sur le long terme.

Favoriser la diversité des essences : un enjeu pour la résilience des forêts

Pour assurer la pérennité des forêts face aux défis climatiques et écologiques, il est essentiel d’adopter une approche diversifiée dans les projets forestiers. Cela implique de prendre en compte les conditions locales – types de sol, climat et interactions écologiques – afin de sélectionner des essences adaptées. Un projet forestier équilibré associe ainsi des essences pionnières, comme le bouleau ou le tremble, capables de coloniser rapidement les terrains dégagés, à des espèces pérennes telles que le chêne ou le hêtre, garantes de la stabilité à long terme de l’écosystème.

Les stratégies de gestion durable, comme la régénération naturelle et la gestion adaptative, encouragent la diversité et permettent une meilleure résilience face aux perturbations naturelles. Par exemple, dans les forêts méditerranéennes, intégrer des pins d’Alep permet de mieux gérer les risques liés aux incendies et à la sécheresse.

La réintroduction d’essences locales, adaptées aux conditions passées mais nécessitant parfois des ajustements face aux changements climatiques, devient une priorité pour renforcer la résilience des forêts face aux sécheresses, tempêtes et maladies émergentes.

La diversification des essences est également essentielle pour limiter la propagation des maladies. Le dépérissement du frêne en Europe, causé par le champignon Hymenoscyphus fraxineus, souligne l’importance d’associer des feuillus variés, tels que les érables, charmes et tilleuls, pour préserver les écosystèmes forestiers. En favorisant la diversité, les projets forestiers contribuent à la préservation de la biodiversité et à une gestion durable des ressources forestières, tant en France qu’à l’international.

Oklima : un acteur stratégique pour préserver la biodiversité forestière

La diversification des espèces d’arbres est un levier essentiel pour garantir la durabilité et la résilience des forêts face aux défis climatiques actuels. Cependant, il est important de la considérer dans un cadre plus large, en harmonie avec la diversité génétique et écosystémique. Si certaines régions peuvent justifier des forêts monospécifiques pour des raisons économiques à court terme, la gestion forestière diversifiée apparaît comme une nécessité pour renforcer la résilience des écosystèmes face aux changements environnementaux croissants.

Chez Oklima, filiale du Groupe EDF, nous accompagnons les entreprises dans le développement de projets de boisement et de reboisement, intégrant pleinement les principes de diversification des essences. Cette approche vise à créer des forêts plus résistantes, en prenant en compte à la fois les enjeux écologiques et économiques, tout en répondant aux besoins spécifiques de chaque territoire. Elle constitue un moyen efficace de lutter contre le dérèglement climatique, tout en préservant la biodiversité essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes.

Ressources

Le point sur les émissions carbone de la France  

Pour atténuer les conséquences du dérèglement climatique, la France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec pour objectif de réduire ses émissions territoriales brutes de 50 % d’ici 2030 par rapport à 1990, conformément à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC-3) [1]. Cependant, malgré ces engagements, les tendances récentes des émissions de carbone et les projections climatiques montrent que la trajectoire actuelle demeure insuffisante pour atteindre les objectifs de réduction nécessaires.

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Ressources

Diversité des essences forestières : un levier clé pour l’adaptation des forêts 

En France, les forêts couvrent environ 31 % du territoire métropolitain, représentant une superficie de 17 millions d’hectares [1]. Ces écosystèmes forestiers abritent une biodiversité riche, avec 106 espèces d’arbres autochtones couvrant 93 % de la surface forestière, majoritairement issus de régénération naturelle [2]. Pourtant, l’intensification des pratiques sylvicoles après la seconde guerre mondiale et la standardisation des plantations fragilisent ces écosystèmes, réduisant leur capacité à s’adapter aux aléas climatiques et aux perturbations biologiques.

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Ressources

Projets de séquestration Vs évitement : quelle est la différence ?

Principale cause du dérèglement climatique, le CO₂ ou dioxyde de carbone est un gaz à effet de serre posant des défis majeurs. Et pour cause, ce gaz, dont les niveaux ne cessent d’augmenter dans l’atmosphère, exacerbe l’effet de serre naturel, entrainant notamment la hausse des températures et l’augmentation du niveau de la mer.

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Notes de référence :

[1] IGN, Inventaire Forestier National, Memento 2022

[2]  IGN État et évolution des forêts françaises métropolitaines, Synthèse des indicateurs de gestion durable 2020

[3]  IGN La forêt française continue à gagner du terrain mais subit lourdement les effets du changement climatique, 10 octobre 2024

[4]  Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement Rio de Janeiro, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 3-14 juin 1992

[5]  Vie Publique, Érosion de la biodiversité : quelles réponses face à une accélération inquiétante ?, 20 mai 2024

[6]  ONF, En forêt, la crise des scolytes s’accélère partout en France, 16 novembre 2023

[7]  Brochure_Changement climatique, diversite, Les forêts tempérées face aux conséquences du changement climatique : Est-il primordial de favoriser une plus forte diversité d’arbres dans les peuplements forestiers ? – Grossiord et al – RFF – 2015 ProSilva.pdf

[8]  INRAE, Des forêts mélangées pour lutter contre les insectes ravageurs, 17 septembre 2020

[9] Revue Sesame – Inrae : quel rôle joue la diversité des essences ?

[10] CNPF, la Biodiversité en forêt

[11]  CEA, La capacité des forêts françaises à absorber le CO2 s’effondre, 07 juin 2023

[12] DSF, Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Le Département de la santé des forêts : rôle et missions, 29 mars 2024

[13] ONF, Dépérissement des forêts : 3 essences menacées, 2023

[14] Le Bois International, Le frêne en mélange résiste mieux à la chalarose : les résultats de Chalfrax en web TV, 05 mai 2021

[15] Données et études statistiques, Les forêts en France – Synthèse des connaissances en 2021, Pour le changement climatique, l’énergie, l’environnement, le logement, et les transports

[16] The Society for Conservation Biology, Au nom de la résilience et de la multifonctionnalité, diversifions les forêts plantées !, 16 juillet 2021

Autres sources : 

Ministère de la Transition Écologique, de la Biodiversité, de la Forêt de la Mer et de la Pêche, Un nouveau plan national pour s’adapter au changement climatique, 10 mars 2025

Ministère chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, PEPR FORESTT : un grand programme national de recherche sur les forêts, 17 septembre 2024

INRAE, France 2030 – Lancement du programme de recherche FORESTT : résilience des forêts face aux changements globaux, 17 septembre 2024