Un phénomène en expansion qui interpelle
L’ampleur du phénomène des friches agricoles en France ne peut plus être ignorée. Cette réalité contraste avec les besoins croissants de terres cultivables dans un contexte de sécurité alimentaire et de transition écologique.
Le développement de ces friches s’inscrit dans un contexte agricole français en mutation. L’agriculture française connaît une diminution du nombre d’exploitations [1], entraînant une concentration des terres agricoles et laissant à l’écart certaines parcelles, souvent situées dans des zones économiquement moins attractives et difficiles à valoriser.
Selon le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, plus de 20 000 hectares de terres sont abandonnées chaque année par l’agriculture [2]. Pourtant, ces terres peuvent aider à répondre aux enjeux de neutralité carbone d’ici 2050.
Cette transformation du paysage rural traduit des mutations structurelles profondes de l’agriculture française, observables sur l’ensemble du territoire national.
Les friches agricoles face à leurs enjeux : abandon, reconversion ou opportunité ?
Un défi réglementaire et territorial
La question des friches agricoles dépasse le simple aspect paysager pour devenir un véritable défi d’aménagement du territoire. L’absence de définition réglementaire précise a nécessité l’adoption d’une définition de travail, validée par la CDPENAF le 17 novembre 2017 [3], qui caractérise une friche agricole comme une zone résultant de la déprise agricole des terres, abandonnée définitivement ou sur une longue période.
Cette définition s’accompagne d’obligations légales claires : le cadre réglementaire impose aux propriétaires de terrains non-bâtis de les entretenir [4], créant ainsi une responsabilité juridique qui ne peut être ignorée. Cette obligation légale souligne l’importance de trouver des solutions concrètes et durables pour ces espaces délaissés.
Un potentiel écologique méconnu
Les friches agricoles présentent un potentiel écologique remarquable. Ces espaces sont de véritables laboratoires vivants, propices à l’émergence de nouvelles espèces par dédomestication, au retour d’espèces disparues à cause des activités humaines, et à l’accueil d’espèces en conflit avec l’homme [5]. Cette richesse biologique spontanée offre des perspectives intéressantes pour la conservation de la biodiversité.
Cependant, cette valeur écologique intrinsèque doit être mise en balance avec les besoins d’aménagement du territoire et les obligations légales des propriétaires. C’est dans cette tension que se situe l’enjeu principal : transformer ces espaces en opportunités durables qui concilient respect de l’environnement et valorisation territoriale.
Le boisement : une solution d’avenir pour les terres agricoles abandonnées ?
Une réponse adaptée aux défis climatiques
Parmi les solutions envisagées pour valoriser les friches agricoles, les projets de boisement émergent comme une réponse particulièrement pertinente. Ces initiatives permettent de transformer des terres délaissées en véritables puits de carbone, contribuant activement à la lutte contre le dérèglement climatique. En cohérence avec les territoires, elles favorisent également la biodiversité et redonnent de la valeur à des parcelles oubliées.
Le processus de reforestation n’est d’ailleurs pas nouveau en France. Les boisements spontanés constituent la principale modalité d’extension des forêts en France, au détriment du territoire agricole non cultivé [6,7]. Cette dynamique naturelle s’explique par plusieurs facteurs convergents : l’exode rural qui libère progressivement des terres de l’emprise agricole, l’évolution des pratiques d’élevage qui délaisse certains espaces pastoraux, et la déprise de zones marginales devenues économiquement peu rentables.
Les mécanismes écologiques à l’œuvre suivent une succession végétale prévisible : les friches herbacées évoluent vers des formations arbustives, puis vers de jeunes peuplements forestiers composés d’essences pionnières comme le bouleau, le tremble ou les pins. Ce processus, bien que naturel, peut s’étaler sur plusieurs décennies et ne garantit pas toujours la constitution d’écosystèmes forestiers diversifiés et résilients.
Cette tendance naturelle peut être accompagnée et orientée par des interventions humaines ciblées. L’accompagnement de la succession naturelle permet d’accélérer le processus tout en orientant la composition des futurs peuplements vers des essences locales adaptées au changement climatique. Les techniques de plantation d’enrichissement, de protection contre la faune sauvage, ou encore de gestion des espèces invasives constituent autant d’outils permettant d’optimiser cette transition écologique. Par ailleurs, la planification de ces boisements peut intégrer des objectifs multiples : séquestration carbone, corridors écologiques, production de bois d’œuvre, ou encore services écosystémiques comme la régulation hydrique et la prévention de l’érosion.
Des expériences concrètes prometteuses
Les initiatives de boisement de friches agricoles se multiplient sur le territoire français, démontrant la faisabilité et l’intérêt de cette approche. Ces projets illustrent comment des terres abandonnées peuvent retrouver une fonction écologique et économique [7].
Ces projets de reforestation s’inscrivent dans une démarche plus large de diversification des usages du territoire rural. Ils offrent aux propriétaires fonciers une alternative viable à l’abandon pur et simple, tout en répondant aux obligations d’entretien imposées par la loi.
Cussy-en-Morvan : un cas concret de valorisation réussie des friches agricoles
Labellisé en 2025, ce projet de reboisement de 10,34 hectares redonne vie à d’anciennes terres agricoles laissées en friche. Il incarne un équilibre entre gestion multifonctionnelle et valorisation productive, conciliant séquestration carbone, adaptation au changement climatique et développement économique local.
Pour renforcer la résilience écologique de la parcelle, sept essences ont été sélectionnées en tenant compte des conditions locales et des futurs aléas climatiques. L’itinéraire sylvicole repose sur une diversité d’espèces feuillues et résineuses, dont :
- Feuillus : aulne glutineux, chêne pubescent, châtaignier
- Résineux : cèdre de l’Atlas, douglas, pin laricio, pin maritime
Chaque essence a été implantée selon les spécificités du terrain. Par exemple, l’aulne glutineux, essence pionnière fixatrice d’azote, a été planté en zone humide en contrebas de la parcelle, près d’un cours d’eau. Il améliore la fertilité des sols hydromorphes et structure les milieux humides.
Le chêne pubescent et le châtaignier, bien adaptés à la région Bourgogne-Franche-Comté, apportent à la fois une valeur écologique (faune, flore, mycorhizes) et économique, renforçant la cohérence territoriale du projet.
Les essences résineuses, bien que non indigènes à la région, ont été choisies pour leur tolérance à la sécheresse et leur capacité d’adaptation aux nouvelles conditions climatiques. Le douglas (Amérique du Nord), le cèdre de l’Atlas (Afrique du Nord), le pin laricio (Corse/Calabre) et le pin maritime (littoral Atlantique) illustrent cette stratégie.
À terme, le projet devrait permettre de séquestrer jusqu’à 3 300 tonnes équivalent CO₂.